1855, Epidémie et croix de mission

par Christine Espallargas-Moretti


 

Que l’on soit capestanais de longue date, ou nouvel arrivant, ou visiteur occasionnel ou touriste, l’impressionnante croix de mission, implantée sur la petite place entre la Collégiale et la mairie ne laisse pas indifférent. Erigé sur un soubassement en pierre, très usé par le temps, un grand piédestal supporte la représentation du Christ sur une grande croix en métal, haute de plusieurs mètres. L’inscription « Souvenir de la mission – 1855 » gravée sur un carré de marbre blanc encastré dans le piédestal, rappelle succinctement l’origine et la date du monument.

Que sait-on de cette croix ? Que raconte-t-elle de l’histoire de notre village ?

Personne aujourd’hui ne le sait vraiment. Le temps a fait son œuvre, tant sur les pierres de son piédestal que sur la mémoire collective, disparue au fil du temps …. Quant aux archives municipales, elles sont muettes sur le sujet.

Si la recherche de sources historiques demande parfois de longues heures passées à compulser de vieux papiers poussiéreux, cela n’a pas été le cas pour retrouver des informations précieuses sur la mission de 1855. C’est simplement en tapant « Capestang » sur le site internet de la médiathèque de Montpellier que nous retrouvons sa trace dans un livre de 1876, intitulé «Histoire de la vie et des œuvres du Révérend Père Soulas » par le Père Vigourel [1]. Certains y verront un signe inexpliqué ou une intuition mystérieusement guidée… nous penchons plutôt pour le hasard …

L’ouvrage en question, numérisé et consultable en ligne, est une biographie du Père Soulas (1808-1857), vicaire de la Cathédrale de Montpellier, aumônier de l’hôpital et missionnaire diocésain. L’auteur du livre est le Père Vigourel, ami du prêtre missionnaire, à qui il rend hommage quelques années après sa disparation. Il y raconte la mission réalisée à Capestang, à la demande de l’Abbé Vernières, curé-doyen de la paroisse.

Dans le vocabulaire religieux du XIXe siècle, une mission est un ensemble d’actions (prêches, prières, messes) animées par des religieux prédicateurs au sein d’une paroisse, pendant plusieurs jours ou semaines, dans l’objectif de restaurer la pratique religieuse et de rassembler les paroissiens dans la foi catholique.

Pourquoi mener une telle mission à Capestang ? Que s’est-il donc passé pour que le curé de Capestang sollicite l’organisation d’une telle mission ?

Pendant l’été 1854, une épidémie de choléra sévit en France, et notamment dans le sud. Capestang n’est pas épargné. On compte 153 décès en 3 mois. Le curé qui ne ménage pas ses efforts auprès des malades constate que « la foi se réveille dans les familles… que la glace de l’indifférence sous laquelle cette population sommeillait depuis un temps immémorial est rompue …dans une paroisse dont la réputation n’est pas des meilleures ».

Pour fortifier cette foi retrouvée, il sollicite le Père Soulas pour une mission à Capestang à la mi-novembre 1854.  Un prêche 3 fois par semaine est prévu. Le premier sermon a lieu un dimanche et « toute la population accourut pour l’entendre et remplit l’immense vaisseau de l’église ». Mais le Père Soulas, emporté par un sermon exalté, fait un malaise et manque mourir ! La mission est alors reportée au 1er janvier 1855, et sera réalisée par deux autres prêtres missionnaires… Selon l’Abbé Vigourel « elle produisit du bien ». On ne sait pas lequel !

 

C’est donc vraisemblablement pour commémorer cette mission de 1855 que fut érigée la grande croix. Nous n’avons pas trouvé d’informations sur son financement, sa fabrication et sur la date de son inauguration. Mais son emplacement, sur le site d’un ancien cimetière, sa proximité immédiate avec la collégiale, sa taille et sa hauteur qui impressionnent encore aujourd’hui, laissent penser que ceux qui l’ont érigé ont voulu marquer les esprits des capestanais de cette époque, plutôt rebelles à l’ordre établi ! [2]

Cinquante ans plus tard, en 1905, alors que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat vient d’être promulguée, le maire de Capestang prend un arrêté pour « l’enlèvement de la voie publique des échoppes, kiosques, baraquements et emblèmes religieux, démolition de la croix de mission aux abords de l’église”[3] »

Et oui ! La croix de mission a bien failli disparaitre !  Pourquoi l’arrêté de démolition n’a pas été exécuté ? Qui a sauvé la croix ?

Les réponses se trouvent dans un carton aux archives départementales de l’Hérault, que nous irons consulter un jour prochain …



[1] Histoire de la vie et des œuvres du Révérend Père Soulas, Adrien Vigourel, prêtre de St Sulpice, 1876 https://memonum-mediatheques.montpellier3m.fr/ark:/12148/bpt6k64621083/f7.item.r=capestang.zoom

 

[2] Insurrection de décembre 1851, contre le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte Que s'est-il donc passé à Capestang en décembre 1851

[3] Etude préalable à la restauration de la Collégiale St-Etienne de Capestang, G. Durand, Tome 2, 2004



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