Péacha en balade nocturne !

par Jacques Chamayou


Ce matin, Péacha est resté au lit.
Et pour cause, il a passé une bonne partie de la nuit hors de sa maison. Oh pas en boîte ou dans un quelconque tripot, non ! Il s’est évadé sur le Pech du Thou.
Ne trouvant pas le sommeil, il a ressenti le besoin de marcher. Il a décidé de suivre l’étroit ruban de goudron qui grimpe depuis l’ancienne cartoucherie. Puis il a laissé à gauche la variante qui mène à la croix de Pagès pour accéder au château d’eau par la voie qu’empruntent les techniciens de Suez.
"Atal me perdrai pas dins las vinhas e las terrassas*", avait-il déjà anticipé dès son passage sur le pont de fer.
Parvenu tout en haut, il s’assied juste au bord de la forte pente qui plonge sur plus de cinquante mètres de dénivelé. Les falaises de Bonifacio ! Presque.
Il est alors ébloui par des milliers de lucioles éparpillées bien au-delà du village. Certaines aimantées les unes aux autres, formant de belles coulures horizontales, comme des coups de pinceau lancés par un peintre cherchant son inspiration.
D’autres piquées ici et là tels des tournesols dans un champ qui aurait été rudement négligé après la semence en période de sècheresse. Parmi celles-ci, certaines comme des étoiles lointaines semblent lui cligner de l’œil. Il s’en amuse. Comme un adulte le ferait d’un bambin attiré par son visage. Le jeu des paupières devient alors le point d’ancrage de la communication …
Puis Péacha pose son regard plus près de lui. Tout autour de la collégiale, jaunie par ses anges gardiens que sont ses fidèles faisceaux de lumière.
Péacha s’adonne alors à un de ses jeux favoris : tenter de repérer telle place, telle avenue, tel bâtiment, le stade … Ah important pour lui le stade ! Terrain privilégié de ses activités d’enfance puis plus tard « centre du monde ».
- Que c’est beau ! C’est magnifique ! Aucun bruit, juste ce petit vent qui vient s’immiscer entre les aiguilles des pins et faire grésiller l’extrémité incandescente de mon cigare.
Péacha profite de cette douceur pour aspirer sur son barreau de chaise et rejeter lentement la fumée qui s’enveloppe autour de lui. Puis il poursuit dans son élan poétique :
- J’ai l’impression que la nature sent que je la regarde et que je lui parle. Et elle, elle m’écoute… Comme moi j’écoute cet extraordinaire silence.
Soudain un fluide glacial lui parcourt l’échine : Péacha réalise qu’il parle tout seul. Le voilà qui poétise maintenant ! « Sos innocent, pichot !* » se dit-il. « Vas al lèit, en ira mièlhs per tu !* »
Au moment où il lance un dernier regard sur le village dans l’intention effectivement d’aller se recoucher, il voit se dessiner une silhouette sortant des ténèbres sur sa gauche. Elle avance vers lui. D’un bond, il se redresse. Son cœur se prend pour une grosse caisse…
- Ne crains rien mon ami.
Péacha reconnaît alors cette voix colorée de l’accent du sud-ouest. C’est celle de Michel Serres :
"N’aie pas honte, Péacha. Tu fais bien de livrer tes émotions depuis ton promontoire. C’est tellement rare, c’est tellement improbable, que c’est peut-être ça, la civilisation et la culture : rencontrer quelqu’un qui écoute ». Et la nature, là, elle t’écoute. Tu peux en être certain".
Et Péacha de répondre :
- Tu sais Michel, je t‘aime beaucoup, mais là je ne vais écouter que ma fatigue. Me vao dormir*. Je n’ai pas que ça à faire finalement … parler à la nature, l’écouter …
Demain il me faut écrire une dernière bafouille avant de prendre un peu de vacances !

Traduction des phrases en occitan

  1. "Atal me perdrai pas dins las vinhas e las terrassas : Ainsi  je ne me perdrai pas dans les vignes et les terrasses.
  2. « Sos innocent, pichot ! » « Vas al lèit, en ira mièlhs per tu ! : Tu es innocent, petit ! Va au lit, ce  sera mieux pour toi !
  3. "Me vao dormir" : je vais dormir

Photos Stéphane Galinier