par Jacques Chamayou
Ce matin Péacha n’est pas pêchu. Son cor sur le petit orteil le fait souffrir. Difficile de mettre un pied devant l’autre dans ces conditions. « Je sors ou je sors pas ? Ouais … Et les
CapHisCuletPatrimoinais (nouvellement nommés « Caplusmillanais ») qui attendent ma chronique. Allez au boulot ! … Enfin, calme-toi Chacha, ils ne sont quand même pas tous, fans de ton humour.
»
Il déplie sa carte IGN. Comme à chaque fois il sourit devant le contour du territoire de la commune qu’il a tracé au feutre rouge. Quel drôle de profil ! Il ne peut s’empêcher de l’associer
au visage de Croquignol, l’un des trois pieds nickelés. « Bon du plat, du plat, du plat … Hébé, direction l’étang !».
Tongs aux pieds il enfourche son vélo. Direction la route basse de Poilhes. La traverse. Le chemin le plus court pour aller faire « le fin ».
- Où vas-tu ?
- A Poilhes !
- Faire le fin ?
Ainsi disait-on dans le temps quand on se rendait dans le village « frère ». Péacha n’a jamais su l’origine de la blague. Mais il ne désespère pas. Peut-être qu’un de ces jours ?... Avec la
bande de Christine, il faut s’attendre à tout.
A peine a-t-il franchi le pont sur le rec qui descend des épanchoirs, qu’il met soudain pied à terre. Une odeur particulière le trouble. Une mauvaise odeur de brûlé. Un mélange de plastique
fumant, de ferraille surchauffée, de tissu cramoisi… Il observe tout autour de lui. Rien. Que dalle ! les nouveaux pavillons sont proprets et agréables à l’œil. Pourtant, il est sûr d’avoir
senti. Cela a été très furtif. Oui, il a re-senti… Il comprend. Sa mémoire olfactive est entrée en jeu. Juste à sa droite, durant son enfance, tentaient de rester debout, les anciens
abattoirs. Les escorjadors. Tout autour, la décharge municipale dessinait un ensemble de crêtes obscures, fumantes et nauséabondes. Incinération… degré zéro. Berk, diraient les mioches de nos
jours. Les fameuses escobilhas, c’était là. Avant de …
Il se relance sur son vélo, partagé entre le besoin de grimacer et l’envie de sourire à l’évocation de cette partie de sa vie.
Il négocie deux virages avec prudence, pas du fait de la vitesse qu’il implique à son déplacement (Oh que non !), mais par peur qu’un véhicule ne déboule en face un peu trop vite, comme c’est
souvent le cas sur cette portion étroite et sinueuse. Cela ne l’empêche pas de sourire cette fois à une blague qu’il est en train de se raconter. Parfois en la matière, il se contente de pas
grand chose : « Faut que je reste lucide et froid … je longe le tènement de la Glacière ».
Puis à l’amorce de la toute petite côte, il s’arrête à nouveau. Escobilhas, deuxième génération. Là, il se souvient, c’était « grandiose ». Des hectares de détritus, de gravats et encombrants
de toutes sortes. Pratique… le trou était naturel. Avant l’ouverture de cet espace « modèle », les eaux de l’étang lors des crus de l’Aude, venaient y lécher les terres en contre bas de la
petite route et s’écoulait dans les fossés. Situation toujours préoccupante mais finalement bien naturelle au regard du rôle de l’étang…
A grands coups de lames de bulldozer, tout (ce qui encombrait caves, greniers et cours) était enfoui au fur et à mesure que l’on faisait avaler à la cuvette des tonnes d’immondices.
Péacha se souvient être venu comme l’autorisait l’arrêté municipal, jeter vieux sacs en plastique, vieux bidons et tuyaux d’arrosage et autres déchets, produits de la société de consommation.
Cette dernière commençait à étaler sa toile malsaine.
Il se souvient encore s’être déplacé en voiture sur les parties déjà recouvertes pour atteindre le « bord du précipice ». Une sorte de piste sur terre battue qu’il fallait suivre entre des
pins que l’on venait de planter pour cacher la misère souterraine. Comme une vilaine croute recouvrant une plaie purulante.
A la vue de cette pinède légèrement vallonée, maintenant bien fournie en arbres adultes, Péacha se rend compte qu’il a participé à l’assassinat de cette partie de l’étang. Il n’est pas fier
du tout. Il s’entend dire tout haut : « Putainggg, qu’est-ce qui m’a pris de passer par là ? ça faisait des lustres que je n’avais pas emprunté cette route ? »
En plein désarroi, il voit alors sortir de l’ancienne cabane en tôle, un homme jovial, le cheveu rare, l’oeil malicieux :
- Hébé Péacha, tornas sur lo luoc del crim ? (Hé bien Péacha, tu reviens sur le lieu du crime ?)
Notre héros, tout penaud, préfère garder le silence. Il sait que rien ne peut plaider en sa faveur et que la répartie de La Sauze (car il a reconnu le fameux chanteur occitan d’Ouveillan),
peut être cinglante. Ce dernier, un brin magnanime, lui lance alors :
- T’en fagas pas Pichot. Sos pas tot sol a aver fautat…
« Dins un monde vièlh que brandolha, es amargant de constatar
Qué mai l’amor partis en colha, es aquo que voli cantar.
Ô plan segur, om s’aima encare et puèi lo cuol dança pas pus la carmanhola,
E cossi volètz pas al jorn de uèi, brave monde et brave tu Péacha, que la tierra se botiola. »
(Ne t’en fais pas petit. T’es pas tout seul à avoir fauté…
« Dans un monde vieux qui brandouille, il est navrant de constater
Que même l’amour part en couille, c’est ce que je veux chanter.
Ô bien sûr, on s’aime encore mais le cul ne danse plus la carmagnole,
Alors comment ne voulez-vous pas, brave monde et brave Péacha, qu’au jour d’aujourd’hui, la terre se boursouffle »)