par Paul Albert
Aujourd’hui, c’est une évidence. Capestang est incontestablement une commune du Biterrois située à l’extrémité occidentale du département de l’Hérault.
Pourtant, l’essentiel de son territoire regarde vers le département voisin.
Sauf dans la petite partie tournée vers Maureilhan et le Lirou, l’essentiel du ruissellement s’effectue
en direction de l’étang, lui-même englobé dans la basse plaine de l’Aude. De ce point de vue, notre village n’est pas une commune de l’Hérault. D’un
peu partout, on distingue aisément la massive silhouette de la cathédrale St Just de Narbonne mais il faut grimper sur les pechs pour espérer apercevoir celle de St Nazaire à
Béziers.
L’architecte Jacques de Faurans a entrepris la construction de notre collégiale en même temps qu’il dirigeait la deuxième campagne de la cathédrale de Narbonne et avec un manque de modestie que nous excuserons, beaucoup de Capestanais ont pris l’habitude de comparer l’une à l’autre.
Et puis l’archevêque de Narbonne a été longtemps le seigneur du lieu où il possédait un de ses plus beaux châteaux.
Dans sa thèse sur les villages médiévaux en Bas-Languedoc Xème -XIVème siècle, Monique Bourin admet la difficulté à déterminer les limites occidentales du Biterrois de l’époque : « La limite occidentale est la moins nette : les caractères biterrois s’amenuisent peu à peu vers l’ouest et les limites des régions biterroises et narbonnaises sont floues… ». A l’appui de son propos, elle fournit la carte ci-dessus qui montre l’enchevêtrement des limites. Capestang relève ainsi de la viguerie de Béziers, mais du diocèse de Narbonne. Elle finit par couper la poire en deux en plaçant le village plutôt dans le Biterrois, mais à la frontière entre les deux influences.
Malgré tout, l’intégration de notre village au département de l’Hérault ne parait pas avoir posé problème. Si de longs et vifs débats ont opposés les gens du Minervois, il ne semble pas que cela ait été le cas dans notre secteur. Pourquoi ?
De toutes les villes du Languedoc méditerranéen, c’est Narbonne qui a de loin le passé le plus prestigieux.
N’a-t-elle pas été un temps sous l’Empire Romain, la capitale de l’immense province Narbonnaise qui englobait toute la Gaule méditerranéenne et en remontant la vallée du Rhône, s’étendait jusqu’à Genève ? L’imposant musée « Narbovia » dont l’ouverture n’a été retardée que par le covid, est entièrement consacré à la description de cette époque. Mais elle a été par la suite la capitale éphémère du Royaume des Wisigoths et plus durablement de la Septimanie.
A l’aube du XIVème, c’est encore l’une des plus grandes villes du royaume. Voici ce qu’en dit l’historien Gilbert Larguier : « Narbonne (30 000 habitants ) apparaît comme une grande ville à l’échelle du Languedoc, de l’espace français, voire de l’Europe. Dans le Midi compris comme la moitié sud de la France actuelle, Narbonne fait jeu égal avec les premiers centres urbains. Elle est au niveau de Bordeaux ou de Toulouse, n’est distancée que d’une courte tête par Montpellier et Marseille. (…) Les populations de Perpignan, Carcassonne, Béziers, sont comprises entre le tiers et la moitié de celle de Narbonne. ».
Afin de mieux cerner le contexte de l’époque, il ajoute un peu plus loin : «… aucune ville supérieure à 20 000 habitants n’existe entre la Méditerranée et Paris. »
Comment dans ces conditions, au moment de la création des départements, Narbonne a-t-elle pu se retrouver reléguée aux confins nord orientaux d’un département de l’Aude dont elle n’a même pas été le chef-lieu ? C’est Carcassonne dont l’industrie textile est alors très prospère, qui a raflé la mise.
C’est parce que la Révolution a eu lieu à l’un des pires moments de l’histoire de la ville.
A l’extrémité de l’isthme aquitain, Narbonne a longtemps été avant tout un port. Hélas, au fil des ans, l’alluvionnement croissant de la côte, l’augmentation de la taille des navires, le changement de cours de l’Aude délaissant la ville pour le grau de Vendres depuis le XIVème siècle, en rendaient le fonctionnement de plus en plus problématique. Construisant le canal des deux mers, Paul Riquet envisageait dans un premier temps d’aller au plus court en joignant Narbonne et ses ports par la vallée de l’Aude. Les risques de crues, l’ensablement l’ont rapidement fait renoncer à ce projet. Sur les conseils de Colbert, il a donc prolongé le canal jusqu’à l’étang de Thau et le nouveau port de Sète.
Cette initiative a précipité le déclin de la ville et de son port supplanté par Agde et Sète. Après bien des péripéties, il a fallu attendre 1787 pour que le canal de jonction relie le canal des deux mers à celui de la Roubine.
En 1790, Capestang qui profite du canal, regarde vers Béziers et tourne le dos à Narbonne dont le seigneur archevêque n’a peut-être pas laissé que des bons souvenirs.
Il reste, qu’en rendant plus complexes, moins évidentes, les relations avec les communes voisines du Narbonnais, la coupure départementale a infléchi le cours de l’Histoire locale.