Péacha prend un timbre (19.2)

par Jacques Chamayou


 

- … Tu vois Péacha, à l’époque, il y avait quatre facteurs titulaires Espu, Espi, madame Reynes et un biterrois nommé Benjamin. En principe, Espu et Benji tournaient dans le village ; les deux autres, autour. Comme deux abeilles autour d’une fleur.

 

- Oh… Bobiel, tu es un vrai poète. Et toi ?

 

- Moi … un jour ma mère m’a dit : « Tu préfères le rugby aux lettres de l’école. Tu vas quand même t’y frotter ».

 

- A quoi ?

 

- Aux lettres couillonas ! … Alors pendant les vacances je remplaçais les deux voltigeurs. Tantôt en haut, tantôt en bas.

 

- En haut … en bas ?

 

- Voilà … Tu ne m’as pas écouté !

 

- Si si … Nord, sud.

 

Et voilà Bobiel qui embarque Péacha vers le nord. Comme s’il y était encore. Enfourchant son vieux vélo aux énormes sacoches de cuir. Direction La Fourcade, Saint-Julien, La Provenquière …

 

- Ah… la côte du chemin de Cazouls ! C’est quelque chose…

 

- Je sais, je sais. Moi-même voici deux semaines … (ce jour-là Péacha alla visiter le catogan de Croquignole)

 

- Quoi ! Tu fais le facteur toi maintenant ?

 

- Non, non… Rien, rien. Pardon. Continue.

 

Et Bobiel de poursuivre son périple. Cibadiès, la Bastide vieille, l’entrée en territoire perdu de la … république de Capestang.

 

- Et je vais te dire Péacha. Si tu avais vu l’état des chemins. Ils se plaignent maintenant les viticulteurs ? Mais c’est le circuit automobile de Monaco, pécaïre. Avant c’était le Paris-Dakar !

 

- En Afrique ou en Amérique du Sud ?

 

- De que ?

 

- Rien … rien.

 

- Rien … Rien … Si tu parles pour ne rien dire, pourquoi tu parles ?

 

- R… vas-y continue Bobiel. C’est passionnant.

 

Et voilà notre jeune facteur par intérim qui descend vers Trézilles depuis le Bosc. La maisonnette SNCF n° 8, le petit Bosc, Guéry, Baboulet, Viviès.

 

- Alors là, ça dabalait, je peux te le dire. Ça bombait … Du goudron, les sacoches qui pesaient toujours autant. En descente plus tu es lourd, plus tu vas vite. Tu le sais, ça ?

 

- Mais les sacoches n’étaient pas vides ?

 

- Péacha … Allons … on ne faisait pas que déposer le courrier, vendre des timbres, donner l’argent des mandats cartes et les colis dans les campagnes. On récupérait tout ce qui était en partance. Une sorte de troc, en fait.

 

- Et oui, je suis bête.

 

- Un peu, oui … Bon !... Mais l’odeur de l’écurie nous poussait à accélérer.

 

- Tu avais fini ?

 

- Et non ! il fallait s’arrêter au Chalet de Gailhaguet, pardi ! Ils l’ont démoli, ces couillons pour construire la station service d’Inter. Tu te rappelles du Chalet ? La rue en face en a pris le nom.

 

- Mmm…

 

 

 

Bobiel enchaîne sur la tournée sud, non sans avoir précisé qu’en arrivant au bureau de poste, il fallait déposer le contenu des sacoches sous l’œil aiguisé de sa mère. Le lendemain le bus Doumerc emportait à sept heures le paquetas à la gare de Béziers. Là il chargeait dès sa première navette du matin le courrier pour être distribué aux capestanais. « Tot aquo dins de sacos de telo de jute. »

 

 

 

- … La tournée sud, c’était autre chose. Avec Montels comme centre névralgique. Marcel y avait fait main basse. Il avait ses points de ravitaillement. A la Redonde notamment. Lui, il avait sa mobylette.

 

Mais au fond de sa sacoche, c’était pas un bidon d’essence qu’il transportait … Il avait un principe. Avant de distribuer le courrier, il se rendait au libre-service.

 

- Où ça ?

 

- A la cave, pardi !

 

- Nooon…

 

- Si !

 

- Tous les jours ?

 

- Tous les jours !

 

- Et le régisseur était au courant ?

 

- Et pardi ! Il faisait le barral. Il était facteur, pas voleur !

 

 

 

Bobiel énumère toutes les étapes. Son index de la main droite sautant successivement sur chacun des doigts de sa main gauche : Saint-Nazaire, le grand et le petit. Aureille. La Tamarissière. Rabettes. La Redonde. Bassouls. Célicate. Longuet...

 

- Ça se terminait par une alternance entre le chemin de halage du canal et la « grande route ». Pain de sucre, L’Espitalet. La Boira Blanca. l’Ale, l’hort de Galinier… Quand c’était Grec, ce putain de vent humide et toujours aussi fort, te faisait regretter de ne pas avoir fauché la mobylette bleue d’Espi. Huit kilomètres par les chemins, il fallait se les taper. Je te le dis, moi !

 

- Hé bé … ça t’a permis de mettre des cuisses pour mieux pousser en mêlée et sauter en touche.

 

- Ouais, j’en ai fait des kilomètres autour de Capestang. Parce que je faisais les remplacements sur les deux tournées. Et puis, y a un truc qui me bouleverse quand j’y pense. C’est quand je portais une lettre bleu-blanc-rouge avec la franchise FM, Franchise Militaire. C’était celle d’un soldat qui donnait de ses nouvelles depuis l’Algérie Française. La mère prenait la lettre, parfois elle tremblait. Elle ne disait rien mais ses yeux humides me disaient « merci » quand elle me regardait. Moi je pensais à Guy, mon frère. Il était là-bas… Et tu sais quoi Péacha ? Je ne m’imaginais pas que deux ans après ce serait mon tour, depuis l’autre côté de la Méditerranée, d’envoyer ces lettres que ma mère aller ouvrir…

 

Bobiel se tait brusquement. Les sourcils en accent circonflexe, il regarde son ami. Ce dernier sent poindre le malaise….

 

- Bon… Et ce boulot de facteur, ça te plaisait ?

 

Le visage de Bobiel s’irradie soudain. Une large moue de satisfaction se dessine sur ses lèvres. Il secoue sa tête d’arrière en avant. Arrêt sur image de ses sorties vélocipédiques version « service public ». Puis, fixant Péacha de son regard perçant :

 

- « Tu veux savoir ce qui se passait quand je pédalais ?... Et bien je rêvais. »

 

- Oh lala … C’est de toi, ça ?

 

- Facteur Cheval ! C’est pareil…

 


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