Péacha au milieu des oliviers !

par Jacques Chamayou


Ce matin, une fois n’est pas coutume, Péacha a décidé d’allier effort physique et travail utile.
Pedibus jambus, il se dirige vers le versant sud de Puech Roudou.
Il n’a pas pris son vélo. Le fantôme d’Ionesco le hante dès qu’il amorce une côte sur son deux roues. Le rabassier sur une épaule, il chemine gaiement.
Parvenu quasiment sous le sommet par une succession de chemins poussiéreux, il sort une gourde de son sac et boit au galet. Puis il pénètre sur une parcelle étroite encore en équilibre malgré les pierres plates qui n’ont cessé de glisser en aval depuis des décennies.
Il pose son sac à l’ombre d’un amandier, se crache dans les mains et entreprend de désherber le pied du premier de ses trente oliviers plantés en quinconce sur cette étroite terrasse. Il y tient à cette petite bande de terre blanche. Il se plaît à penser qu’il est enraciné dans la culture ancestrale de l'olive…
A l’époque bien lointaine où « l’oliva » était de loin le premier fruit du travail de l’homme autour de Capestang.
… De temps à autre il lève la tête, s’essuie le front d’un revers de poignet et jette un coup d’œil sur le lointain. Quel magnifique point de vue ! Au sud-est l’oppidum d’Ensérune ; plein sud le massif de la Clape ; très légèrement à l’ouest de ce dernier, la cathédrale de Narbonne …
Et puis presque à ses pieds, les énormes flaquasses de l’étang. D’un gris argenté à s’y mirer dedans ! L’étendue de roselières, vert bouteille, qui leur servent d’écrin donne un contraste de couleurs assez puissant pour que l’œil s’y attarde. Péacha se dit qu’en ce moment des milliers d’oiseaux de toutes les tailles doivent y barjaquer en toute quiétude. Allez au boulot !
Faut pas rêver. Y en a pour la matinée à trimer. Et avec ce soleil de fin mai qui a mis les rayons doubles, c’est pas gagné. Plié en deux au-dessus de son outil il ne voit pas Cervantès se faufiler entre les carabènes.
Chapeau de paille posé en travers sur le crâne et brin de fenouil aux lèvres, il observe Péacha tout à sa tache. Le raclement du métal sur la terre rythme la progression de ce dernier. Notre ami aime ce bruit rugueux.
Chaque morsure dans la terre accompagnée d’un ahan presque étouffé est une victoire contre les mauvaises herbes. Cervantès est maintenant assis sur une grosse pierre. Sa chemise blanche immaculée le fait ressembler à un immense arum qui aurait poussé dans ce décor terreux comme par pure provocation.
Hé Péacha ! Ce dernier, surpris, interrompt soudain son mouvement tout en restant penché en avant. Comme statufié.
Puis il tourne lentement sa tête en direction de la voix. Il est prêt à se relancer dans son effort, ne prêtant guère attention à l’énergumène qui vient de se permettre de lui couper l’herbe sous les pieds.
Mais Cervantès hausse le ton : «L’homme qui travaille perd un temps précieux ! Tu le sais, ça ? ». Péacha se redresse alors et se dirige vers l’arum trop blanc à son goût pour être honnête.
Parvenu face à lui, il plante son rabassier entre les pieds de Cervantès et après lui avoir tapoté l’épaule, lui lance : Hé toi la fleur qui parle, chope ce précieux manche et si tu ne veux plus sur ce pech faire tache, tâche d’égratigner un peu la terre avant que je ne te griffe. Tu travailleras moins du chapeau.
Ah ça, oui, tu sais faire. Foi de Péacha !