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Développer la coopération pour sauver la petite viticulture, 2ème partie : une crise qui n’est pas sans conséquences sur l’économie et la société capestanaise.

par Paul Albert


 

Reportons-nous dans les années 1930. La viticulture occupe une place sans commune mesure avec ce qu’elle est aujourd’hui. Elle est omniprésente. La météo n’est analysée qu’en fonction de sa culture. Ses travaux rythment la vie du village tout au long de l’année et les vendanges en sont le vrai aboutissement. Directement ou indirectement, tout le monde vit de la vigne.

 

Aidons-nous du recensement de 1931, Il donne le nom, le prénom des habitants, leur âge, leur lieu de naissance, mais aussi leur profession et pour les salariés le nom de leur patron.  Ce travail n’a pas toujours été effectué avec toute la rigueur nécessaire, mais s’il ne doit pas être pris au pied de la lettre, on peut penser qu’il donne une image convenable de la société de ce temps.   Ce tour d’horizon est indispensable si l’on veut comprendre les événements qui vont suivre.

 

 

1030 personnes (dont 133 femmes) ont déclaré travailler pour un patron

 

348 vivent dans les « campagnes » :

 

-  Régisseurs, ramonets, quelques chefs de cave (40) en général Français, 

- Il y a surtout les domestiques (mesadiers) qui sont pour moitié espagnols ce qui est une nouveauté. Depuis le début du siècle le début du siècle et la 1ère guerre mondiale, le réservoir démographique de la montagne s’est tari. Pendant et immédiatement après le conflit, l’Etat a facilité l’indispensable recrutement de main d’œuvre en faisant appel à une immigration espagnole, bien souvent de la région de Murcie et pour Capestang, plus particulièrement de Fuente Alomo. Le changement est spectaculaire.

Il y a ceux qui vivent au village.

 

S’ils sont qualifiés du terme vague de cultivateurs, c’est parce que leur statut est mixte.

 

Ceux sont des journaliers, ouvriers qualifiés employés à la journée, mais ils sont aussi propriétaires de qq lopins de vigne.

Parmi eux, les Espagnols sont moins nombreux, souvent issus de vagues migratoires précédentes et de régions différentes ( Aragon, province de Lérida)

Les propriétaires

 

Il y a ceux des grands domaines périphériques.

 

Ils sont nombreux sur la commune et emploient au total plus de la moitié de la main d’œuvre viticole à laquelle s’ajoutent encore des ouvriers venant des villages voisins et dont le nombre est plus difficile à déterminer.  En général, ces propriétaires habitent la ville et ont plusieurs domaines.

 

Les propriétaires de biens de villages sont de loin les plus nombreux

 

Mais derrière ce terme se cache une hiérarchie complexe et des univers très disparates.

 

Les « petits » disposent d’un attelage et à priori au moins de 5ha à cultiver. Par leur revenu, leur genre de vie, ils se distinguent à peine des cultivateurs.

 

 Les « gros », par leur revenu, le genre de vie, les opinions politiques, souvent les études     accomplies, appartiennent à  un autre monde. Ce sont des « messieurs » qui ont de plus en plus de difficulté à conserver le train de vie qui était le leur aux heures fastes du   vignoble.

  

Tous ces gens sont mécontents

 

Les cultivateurs, sont les premières victimes.

 

En tant que petits propriétaires, ils manquent de vaisselle vinaire, de trésorerie, souvent pris à la gorge ils doivent vendre, même lorsque les cours sont au plus bas.  Parce que les vendanges arrivent, parce qu’il faut acheter le sulfate, à cause des créanciers. Mais leur condition d’ouvrier journalier se dégrade fortement aussi.

 

En effet, les gros propriétaires ne sont pas contents non plus.

 

Bien sûr, ils ont de quoi stocker, une cave bien équipée, ils disposent d’œnologues qualifiés, ils peuvent plus facilement négocier les prix, mais les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. La culture n’est toujours pas mécanisée et la productivité n’y est guère supérieure à ce qu’elle est sur les petites exploitations. La masse salariale pèse sur les coûts de production. Alors comment les baisser ? En comprimant les salaires, en supprimant des travaux jugés superflus.

 

 

Le chômage est endémique dans les années 30.

 

Il revient aux communes de porter secours aux chômeurs. Elles les emploient donc dans chantiers de réparation de chemins. Mais c’est une lourde charge. Le C M à majorité socialiste, se veut le porte-parole des ouvriers.

 

Il accuse volontiers les patrons d’être responsables de la situation :

 

 « En effet, rien n’est plus nuisible pour l’intérêt de l’ouvrier ainsi que du propriétaire que ces travaux donnés à forfait. D’un côté le patron n’y trouve pas son compte parce que le travail est défectueux et l’ouvrier tout en ruinant sa santé est cause qu’un grand nombre de ses camarades sont réduits au chômage en attendant que son tour arrive. »  (Conseil Municipal le 12/01/1932)

 

« Que des mesures soient prises immédiatement pour arrêter la venue en France de la main d’œuvre étrangère et aussi pour le rapatriement des ouvriers espagnols arrivés depuis peu dans nos communes ; qu’en outre les pouvoirs publics adressent un appel aux propriétaires engageant à faire  preuve d’un peu plus de solidarité envers ceux, qui durant 5 années, se sont sacrifiés pour défendre leur sol et leurs libertés. » (Conseil Municipal le 20/5/1925)

 

Une position assouplie par la suite :

 

« Bien entendu, le Conseil Municipal ne s’oppose pas à ce que les ouvriers de nationalité étrangère, soient occupés, ils ont droit à la vie comme tout le monde, mais il demande à juste raison que le nombre en soit limité, laissant toujours la priorité à la main d’œuvre locale. » (Conseil Municipal, le 09/12/1935)

 

En fait, il est très démuni, s’endette et demande des secours :

 

« …si cet état de chose dure encore quelque temps, malgré toutes les mesures de restriction qui seront prises en vue de ménager les fonds, aucune municipalité ne sera à même de supporter le choc. C’est la ruine à brève échéance de toutes les communes et malgré cela, la situation des ouvriers agricole n’en sera pas améliorée et le problème de la crise n’en sera pas résolu. » (Conseil Municipal, le 21/11/1935)

 

En désespoir de cause, il en arrive à prendre une décision aujourd’hui surprenante, mais pourtant prise à l’unanimité. Autres temps, autres mœurs ! 

 

« Il serait utile, en vue d’économiser les fonds communaux, de faire exécuter momentanément par des chômeurs, les travaux de nettoiement, balayage des rues, places publiques etc…

 

En conséquence, il y aurait lieu de supprimer les emplois occupés pour ces travaux par Mesdames… » (4 dames licenciées), Conseil Municipal, le 21/11/1935

 

 Ces graves difficultés se lisent dans l’évolution démographique du village. La crise de 1907 avait brisé sa croissance, avec celle des années trente, malgré l’importance de l’immigration espagnole, la population diminue sensiblement. Les Capestanais sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance ailleurs.

 

Depuis le début du siècle, les problèmes rencontrés par la viticulture méridionale ont suscité trois types de réactions :

 

-          Il y a ceux qui considèrent que le monde de la viticulture est solidaire et qu’il faut lutter pour défendre les intérêts de l’ensemble de la profession. En 1907, ils ont entrainé toute la région derrière eux. Depuis, à travers la Confédération générale de la Viticulture (CGV), ils ont pour but de régulariser le marché en luttant contre la concurrence déloyale des vins artificiels, puis de plus en plus, de celle de l’Algérie.

 

 

 

-          La viticulture capitaliste des grands domaines, a très tôt suscité la création des syndicats de salariés et le succès des idées socialistes.  Les grèves se sont succédées pour lutter contre l’érosion des salaires, la précarité croissante des emplois. Plus que la saturation du marché, c’est le patronat capitaliste qui est désigné comme le coupable.  Après celles de 1904, la vague de grèves des années 1926/1928 a été la plus forte (51 grèves dans le seul département de l’Hérault).

 

 

 

-          La troisième réponse locale à la crise est venue du mouvement coopératif. Mais si les créations ont été tôt multipliées dans les P-O et surtout dans le Gard, elles ont pris beaucoup de retard dans l’Aude et l’Hérault*. Il n’était pas facile de se défaire d’attitudes individualistes et surtout de renoncer à la fierté de produire son propre vin. Adhérer à la coopérative, n’était-ce pas accepter de n’être plus qu’un producteur de raisins ?

 

-           

 

* En 1929, le Gard comptait 101 coopératives contre 26 dans l’Hérault

 

 

 

 A suivre ….

 

 


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