Péacha sur les traces de Lo Papé !

par Jacques Chamayou


Ce matin, la sortie de Péacha a été réduite. Aux abords de Portesquine, une fois de plus. Mais pour une raison différente de la précédente. Il s’est rendu chez Bobiel pour le remercier de lui avoir ouvert la porte la semaine dernière, alors qu’il était désemparé. Il en a profité pour lui raconter sa mésaventure, qui a tenu en haleine ses amis capestanais durant la semaine :
- … Alors, on descend dans le trou. Ledeux referme la trappe au-dessus de nous. Et là c’est la nuit. La nuit totale. On allume notre frontale. Incroyable ! Clamouze ! Enfin, en plus petit. Un air humide nous enveloppe le corps. Ledeux éternue. Il n’a pas mis son masque. J’ai envie de remonter. « Te casse pas Péacha, Tu vas pas le regretter ! » me dit-il.
On avance lentement. Je me tiens aux parois de chaque côté. Facile, le tunnel, creusé dans le tuf, ne fait pas plus d’un mètre de large par endroits. Le Roubiolas en beaucoup plus étroit… mais sans la clarté du jour. J’ai un peu la trouille. Nous progressons les pieds dans l’eau. La roche devient plus dure. Les murs transpirent de gouttelettes de diamants… A un moment, Ledeux lève le pouce. Je pense qu’il veut m’encourager. Non ! Il me suggère de lever la tête.
Et là, je crois rêver … le plafond est constitué de dalles régulières et disposées parfaitement comme le toit d’une maison. Un magnifique faîte s’offre à ma vue. Comme dans des combles. Nous parvenons à une sorte de puits peu profond : Une énorme crépine rouillée baigne dans l’eau. Aucune idée de la distance que nous avons effectuée depuis la descente dans le trou. D’ailleurs aucune idée non plus du temps qui a passé depuis notre dabalade. Je sais très bien l’endroit précis où le trou nous a engloutis. Mais je ne parviens pas à savoir dans quel sens on se dirige. Je suis Ledeux. Je ne le quitte pas d’une semelle. Il s’arrête. Il me montre des inscriptions gravées dans le tuf. Quatre chiffres. Une date : 1747. Incroyable ! ça fait deux fois Bobiel, que je lâche cet adjectif. Je suis vraiment impressionné.
Bien plus loin, un trou carré dans le plafond soigneusement maçonné. Une sorte de cheminée dont le boisseau mesurerait au moins trois mètres de haut : « ça, tu vois Péacha, c’était pour évacuer les gravats. Et les excavations plus petites, devant moi, c’était pour mettre les bougies. » Il m’espante Ledeux. Ce n’est pas qu’un blagaire. Il en sait des choses. Et on continue d’avancer. Hop un Y. Il prend à droite.
- On va où Ledeux ?
- En enfer !
Toujours le mot pour rire. Moi, je continue à flipper. Lui, il rigole. Il veut m’en foutre plein la vue. Sacré pari ! Le lieu ne s’y prête guère. Si nos lampes frontales se mettent en grève, j’ai pas fini de broyer du noir. En attendant on patauge toujours dans l’eau sale. Oh ! Belle surprise. Les ouvriers étaient aussi des artistes. Un magnifique personnage de profil orne la paroi. Du six-quatre-deux certes mais considérablement soigné ! Orné d’une grosse virgule tracée dans la roche molle en guise de superbe favori sur la joue.
Plus loin un nom bien connu est gravé : Garcia ! Ledeux plaisante : « va savoir de qui ce type-là est l’ancêtre dans le village. Les Garcia, tu les regroupes sur la place, et tu as la queue jusqu’au stade ! » Du Ledeux dans le texte ! Je commence à me détendre. Ledeux, il ferait rigoler un président de la République sortant … sorti dès le premier tour. Puis d’autres noms … les uns collés aux autres. D’autres dates plus récentes que la première. Du 19ème siècle. Et le summum ! Trois mots chargés de sens : Vive la République. Ledeux rigole devant ma stupéfaction : « C’était le repaire de la bande à Pech, lors du coup d’Etat de Napoléon en 1851. »
Je reste bouche bée. J’enlève ma frontale pour l’approcher des mots gravés. Et là ce piot me donne une tape sur l’épaule à déquiller un seconde ligne en hurlant « Mais non je déconne ! ». Je me retrouve le cul dans l’eau (ça fait deux fois en deux semaines !). Une sensation bizarre… Je n’ai plus la frontale entre mes doigts. Engloutie dans l’eau et la boue. Quelque peu gêné, il se baisse pour m’aider à me relever. Moi, j’ai l’impression d’avoir pris un All Black sur le râble. J’enrage. Je le choppe par le cou et lui plonge la tronche dans la gadoue. Panne d’électricité ! Le noir complet.
On a voulu ressortir de suite. Mais on n’a pas su retrouver le chemin. Ouais je sais, même sur le terrain il ne savait pas où il allait, Ledeux… Ses partenaires n’arrivaient pas toujours à le suivre. Alors là, tu penses. On en a fait des demi-tours, des quarts de tours en butant contre les parois. J’ai dû m’affaler une vingtaine de fois. Lui, autant. J’étais désespéré.
On avançait comme deux gamins en rang à l’école. En se tenant la main. A un moment, j’ai craqué : « Tu ne m’amèneras plus jamais avec toi. Tu m’entends ? Plus jamais ! »…
« Péacha, Il ne faut jamais dire, Fontaine je ne boirai jamais de ton eau ». La dernière syllabe se perd en écho dans les ténèbres.
- Arresta tas conaries, Ledeux !
- Moi ? Mais j’ai rien dit.
Cette fois, je le sens, il est sérieux. Il n’a rien dit…
Trop fatigué pour déconner ! On en a mis du temps à trouver la sortie… Et de temps en temps l’écho qui frappait à la porte de mon cerveau. J’ai flippé un max pendant de longues heures, tu sais.
… A la fin du récit, Bobiel ne sait toujours rien de l’endroit où ils sont descendus :
- Mais vous étiez où ?
- Comment t’as pas compris ? Hé oh, tu me fais marcher là ! On était dans les aqueducs qui menaient l’eau depuis Fonclare jusqu’aux fontaines de l’abreuvoir et du Bassin-Rond via le Théron.
Sous le village, pardi !

Photos Michel Boubis