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Eté 1944, entre enthousiasme, douleur & espérance

4ème partie : Le camp de La Fraise, sauvé par la Croix rouge, par Jacques Chamayou

 


 

La Fraise sera par conséquent la base de « Latourette ».

 

Ce nom a une double signification. Il est à la fois le nom de guerre de Girvès et le nom que l’on prête au maquis qu’il commande désormais. Le hameau est à la fois proche des gros villages du biterrois et noyé dans un écrin de roches, de pins et de chênes verts. Ce hameau restera un camp retranché idéal jusqu’au surlendemain du guet-apens de Fontjun qui va « geler » momentanément toute action. Au soir du Jour J, Girvès voit ses plans contrariés et préfère attendre. Il a raison. Il est informé par une infirmière de la croix rouge, accourue depuis Béziers, que Ferrières-Poussarou va être cerné par l’occupant nazi. Aussitôt c’est la préparation pour le départ. Le groupe de quelques hommes s’est malgré tout agrandi le 6 juin. Quelques rares éléments du convoi parti de Capestang sont parvenus depuis Fontjun, malgré la pleine lune, à déjouer la traque des allemands. D’autres individuellement ou par petits groupes de trois ou quatre sont arrivés des villages du sud ou de l’ouest de Saint-Chinian. Dans ce village notamment, en cette soirée tragique du 6 juin, certains sont bloqués à l’intérieur d’une chambre une bonne partie de la nuit. Les patrouilles de soldats allemands sont sur le qui-vive. Depuis leur fenêtre les résistants, angoissés, aperçoivent sur les hauteurs d’énormes flammes... Ils ne sont au courant de rien. Mais ils se doutent qu’un évènement a contrarié les officiers allemands. Des camions ont circulé. Des ordres ont été aboyés. Des patrouilles sillonnent sans cessent les rues du village. Vers quatre heures du matin ils vont pouvoir s’extirper enfin de leur cache par une porte arrière.

 

La Fraise n’est qu’à une heure de marche à travers les vignes, la garrigue et la montagne. Parmi eux, Jean Viste agent de liaison de Jacques Picard, alias « Sultan » le délégué militaire de la région 3, et Joseph Lanet co-fondateur de l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance. Ce dernier, natif de Puisserguier, deviendra secrétaire d’Etat à l’enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports dans le gouvernement de Pierre Mendès-France. Coordonnateur de l’Armée secrète pour l’ouest du département de l’Hérault et l’est de celui de l’Aude, il en est devenu chef du Mouvement Unis pour la Résistance dès sa création.

 

 

A leur passage à Bouldoux une surprise attend la petite équipée Viste-Lanet. Aux abords du village, ils croisent une poignée d’hommes. Inquiets et démunis, ils semblent s’y camoufler. Ils font partie des rescapés de Fontjun. Ces derniers ne connaissaient pas la destination finale du déplacement. Leurs chefs leur avaient simplement indiqués qu’ils avaient rendez-vous à Bouldoux. De là on devait les accompagner dans un camp, situé plus loin dans la montagne. Dès les premiers mots échangés, les saint-chinianais comprennent. Les hommes encore impressionnés, parlent par saccades : l’attaque surprise alors que certains chantent dans les camions ; le gros des armes encore dans les caisses ; l’impossibilité de réagir pour la plupart d’entre eux ; le véhicule de tête, une voiture conduite par Jean Durand, alias « Roch » qui force le passage ; les camions en travers de la route ; les explosions ; Danton Cabrol, leur chef, abattu alors qu’il fait feu depuis le marchepied ; leur camarade Montagne juché sur un rocher qui balance des grenades sur les allemands ; les copains morts sur la route mais aussi les tués dans les rangs ennemis ; les flammes ; le sang ; les blessés ; les hurlements ; les aboiements des chiens.

 

 

Arrivés à la Fraise, le petit groupe aperçoit dans la cour de la ferme qui sert de QG, une voiture à la carrosserie endommagée. Les Durand sont là. Le capitaine Girvès est de fait au courant … Le groupe du secteur de Capestang n’arrivera jamais. Près de soixante-dix hommes, lui avait annoncé Danton Cabrol lors d’une visite discrète chez ce dernier quelques jours plutôt. Cabrol était enthousiaste. Il avait entraîné Girvès dans une remise. Des caisses d’armes et de munitions étaient camouflées sous des dizaines de  fagots de sarments de vigne. Girvès l’avait félicité. Puis d’une voix neutre, il lui avait donné le contenu du message radio qui devait déclencher leur départ : « Mathurin aime les épinards ». Latourette avait ajouté sur un ton autoritaire : « Avec Durand, vous devez être les seuls à connaître le lieu précis de la destination ».

 

 

… Voilà par conséquent « Latourette » en pleine incertitude. Un conseil de « défense » semble s’être constitué sur le champ avec Bène, les Durand, Viste, Lanet, Pitman…

 

 

L’option d’attendre est prise.

 

 

Des sentinelles sont postées sur les hauteurs qui dominent la nationale Béziers-Saint-Pons…

 

 

Jusqu’à ce que déboule en fin d’après-midi dans sa petite Simca, Claire Mauriac, infirmière à la Croix Rouge. Elle est envoyée par sa directrice, madame De Naudey, qui n’en est pas à sa première intervention auprès de la résistance. « Vous devez partir sur le champ. Ils arrivent ! ».

 

 

L’option d’un déménagement avait été sérieusement envisagée. Il faut la concrétiser. La nuit venue le gros du groupe s’enfonce en camions et voitures sur les chemins en direction du nord… un avion de reconnaissance avait survolé la zone durant la journée. Robert Pitman, aspirant d’active et adjoint de Girvès, assurera les arrières avec quelques hommes. Ils partiront les derniers…

 

A suivre ….