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Capestang, un carrefour depuis l’Antiquité

par Philippe Barjaud


Aujourd’hui, Capestang occupe une position de carrefour assez exceptionnelle, qu’on en juge : le croisement de la Minervoise, le grand axe est-ouest, avec l’autre axe nord-sud, des hauts cantons vers Narbonne et l’Espagne… Et si l’on rajoute le Canal du Midi, reliant les « Deux Mers », la « véloroute » Eurovélo n°8 qui suit le chemin de halage, l’ancienne voie ferrée de Colombiers à Cruzy converti en voie verte, sans compter le projet avorté d’aéroport dans l’étang, on pourrait dire que bien avant tout le monde, on a mis ici en pratique le concept de « transport multimodal » !

 

Mieux encore, cette situation particulière remonte bien plus loin dans le passé, à l’âge du Bronze, soit au deuxième millénaire avant notre ère. En prenant tout d’abord la précaution de dire que de ces voies préromaines, pratiquement aucune trace archéologique ne subsiste, seulement des citations d’auteurs de l’Antiquité comme Polybe ou Strabon, et puis des déductions logiques, comme les nécessaires circulations entre cités protohistoriques (les oppida), les drailles de transhumance, les chemins saliniers, ou encore la communication avec les comptoirs du littoral (Narbonne, Agde…), pour le commerce avec l’ensemble du bassin méditerranéen.

 

On pense que deux voies antiques majeures se seraient croisées dans notre région. Il y avait donc la voie Héracléenne, qui reliait l’Italie à l’Espagne en longeant la côte, mais en s’écartant des lagunes littorales, et puis la voie d’Aquitaine, qui allait vers l’ouest comme aujourd’hui la Minervoise, et par où arrivait l’étain extrait en Bretagne et en Cornouailles, indispensable à la fabrication du bronze, produit de l’alliage avec le cuivre des mines du Languedoc.

 

De part et d’autre de Capestang, on peut imaginer quel pouvait être le tracé de la voie Héracléenne. En direction de l’est, il correspond probablement à celui de la RD 11 venant de Montady. Vers le sud-ouest, si on tire une ligne en direction d’Ouveillan, il passerait par les domaines d’Aureilhe et de Sélicate.

 

En 118 avant notre ère, le consul Ahenobarbus Domitius décide de renforcer la voie Héracléenne, pour sécuriser le passage des légions romaines et le transport des marchandises. En effet, comme le rapportait Strabon,

 « cette route est excellente en été, mais en hiver et au printemps, c’est un bourbier inondé par les débordements des cours d’eau, qu’on franchit soit par des bacs, soit par des ponts de bois ou de pierre ».

 

Ce sera la voie Domitienne, avec un premier tracé évitant les marécages (tracé 1) et piquant droit au sud de Capestang vers Montels en suivant l’actuelle RD 16.

Mais au siècle suivant, il est décidé de couper à travers le bas de l’étang (tracé 2), au niveau du domaine de Bel-Air et des anciennes pompes de Monsac. C’est ce dernier tracé qui évoque le plus, encore aujourd’hui, ce qu’était une voie romaine telle qu’on l’a appris à l’école : les ingénieurs de l’époque cherchaient avant tout à tirer droit, quelque soit la topographie, quitte à devoir bâtir des ouvrages d’art, comme le véritable viaduc (1500 mètres de long !) bâti pour traverser l’étang, dont il ne reste que les arches de pierre de Pontserme enjambant la Nazoure.

 

Nous tournant maintenant vers le nord, d’autres voies antiques reliaient le bas Languedoc à l’arrière-pays par la montagne. L’itinéraire le plus connu, spectaculaire dirait-on même, est la « Pénétrante de Béziers à Cahors », qui franchit hardiment les sommets des Monts de de l’Espinouse (cf. le fameux « camp romain » du Plo des Brus !) et longe ensuite la crête entre le Tarn et l’Aveyron.

 

Moins abrupte, et plus praticable, devait être la voie passant entre Puisserguier et Capestang, et filant ensuite vers Saint-Chinian, Saint-Pons et la vallée du Thoré. Ce chemin a notamment dû servir au transport du sel, depuis les marais salants de Capestang et d’Ouveillan, jusque dans les hautes terres d’élevage, où il était indispensable au bétail et à la conservation de la viande.

 

Ses points de passage ? Il se faufile entre Ramejan et la Provenquière, traverse la voie verte au niveau du pont Bel-Air, et, pénétrant sur le territoire de Quarante, longe l’étang Fage. En arrivant dans les environs du domaine de Roueïre, une ancienne maladrerie (hôpital pour lépreux), il croiserait une autre voie importante, le chemin de l’Estrade, dont le nom vient de l’occitan estrada, lui-même du latin strata, c’est-à-dire la « route pavée ». Mais comme de pavage il ne reste rien de visible, il subsiste une incertitude sur son tracé exact. Toujours est-il qu’il mène d’est en ouest de Béziers à Caunes-Minervois, parallèlement au Camin Romieu, le chemin des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. On l’appelle encore « voie du nord », car il permettait aux pèlerins de cheminer dans les collines, à l’écart donc de la boue et des émanations fétides des étangs situés plus au sud.

 

Le Camin Romieu, donc… Je n’en dirai pas grand-chose ici, car j’invite le lecteur à redécouvrir sur notre blog l’article du 30 juin 2020, qui lui a été consacré par notre ami Bernard CAUQUIL de l’association CAMINS, sous le titre « Hier comme aujourd'hui les pèlerins traversent Capestang ! ».

 

Pour le reste, les « chemins de grande communication » (Béziers - Carcassonne, Narbonne – Saint-Pons), les routes qui furent royales, avant d’être impériales, puis nationales, et enfin départementales… un autre auteur nous en contera-t-il l’histoire ? Sans compter l’œuvre de Pierre Paul RIQUET ! À suivre, donc…

 

 

Sources :

  •  « Les chemins à travers les âges, en Cévennes et Bas Languedoc », Pierre A. CLÉMENT, 1989
  •  « Béziers et son territoire dans l’Antiquité », Monique CLAVEL, 1970
  •  « De la via Heraclea à la via Domitia », Marianne SALOMON - Archéologie en Languedoc, n° 20-2, 1996
  •  « Peuplement et circulation dans les bassins fluviaux du Languedoc occidental, du Roussillon et de l’Ampurdan, du IXe s. au début du IIe s. av. n. è. », Virginie ROPIOT, thèse de doctorat, Besançon 2007
  •  L’ancien chemin d’Albi Bas-Languedoc par la montagne, Thérèse BEAUCOURT, Bulletin annuel de Cunac, 2010
  •  « Narbonne à l’époque tardo-républicaine », Corinne SANCHEZ, Revue archéologique de la Narbonnaise, 2009