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Sur la piste de nos ancêtres, les Élisyques (3ème partie)

par Philippe Barjaud


Mes précédentes recherches, sur la piste de nos ancêtres néolithiques, ces agriculteurs-éleveurs venus du Proche-Orient il y a près de 8 000 ans, n’avaient abouti qu’à deux lieux de sépulture dans les collines au nord de Capestang, un dolmen et un abri sous roche, peu de chose en somme. Leurs maisons en bois et pisé, détruites ou enfouies sous les sédiments, n’ont laissé aucune trace dans le paysage.

 

De fait, les premiers vestiges d’habitat visibles dans la région ne datent que du 6ème siècle avant notre ère, pendant l’âge du Fer, sur l’oppidum d’Ensérune dont une partie, je le rappelle, faisait partie du territoire de Capestang jusqu’à son rattachement à la commune de Montady, le 28 juillet 1955...

 

Mais qui sont les habitants de cette véritable cité perchée, et plus généralement de l’ouest du Languedoc, entre le Cap d’Agde et Leucate ? Il s’agirait du peuple un peu mystérieux des Élisyques, des Ligures, descendants des tribus indigènes peuplant ce rivage de la Méditerranée depuis le Néolithique et l’âge du Bronze.

 

La capitale des Élisyques est l’oppidum de Montlaurès, proche du port de Narbo/Naro, aujourd’hui Narbonne. À cette époque, ce comptoir commercial est ouvert sur la mer (voir la carte) (1). Leur autre cité importante est Besara, aujourd’hui Béziers. C’est un peuple d’agriculteurs et de pêcheurs, qui, selon l’historien audois Jean GUILAINE, pratique de surcroît un commerce florissant avec les navigateurs grecs, phéniciens, italiques et étrusques. À l’exportation, des produits agricoles locaux, des ressources minérales et du bronze, provenant de toute la Gaule, et dans l’autre sens, importation de vin, d'huile d'olive et des céramiques.

 

Concernant leur culture, on distingue plusieurs époques. Le style de vie, d’abord purement indigène, est progressivement influencé par les apports helléniques, puis celtiques. Leur langue reste inconnue, mais on sait qu’ils écrivent en caractères ibériques, sous la forte influence des peuples situés plus au Sud, dans la Catalogne actuelle. Enfin, on a pu découvrir localement leurs pratiques funéraires, dans la plaine entre Quarante et Creissan. Le défoncement d’une vigne, en 1957 à Recobre, a en effet exhumé une nécropole à incinération, utilisée du Bronze final au premier âge du Fer, entre – 900 et – 600. Plus récemment, une autre nécropole a été mise à jour en 2004 à Puisserguier, lors de la réalisation de la zone d’activité économique de la Rouquette.

 

Plus intéressant encore, le nom d’Élisyques viendrait de celui du marais antique d’Hélicé, qui ne serait autre que celui de Capestang, situé en plein centre de leur territoire !

 

On parle, à leur sujet, de « civilisation des oppida » (pluriel de « oppidum »), car on observe au milieu de l’âge du Fer, aux 4ème et 3ème siècles, un mouvement de « perchement » sur les hauteurs, pour créer des sites fortifiés. La raison ? Deux hypothèses sont à envisager, une évolution sociale vers la concentration du pouvoir au sein d’une classe dirigeante, ou bien le besoin de se réfugier à l’abri de certains dangers…

 

Je crois que les deux se conjuguent. Car c’est à ce moment qu’on assiste à la première des « invasions » de la région. En route vers l'Espagne, venus d'Europe centrale, des tribus Celtes, ici les Volques Tectosages et Longostalètes, se mêlent au cours du 3ème siècle à la population élisyque. Avec ou sans violence ? Toujours est-il qu’ils semblent s’imposer sans bouleverser les coutumes locales, jouant finalement le rôle d’une aristocratie militaire et politique.

 

Les Élisyques ont-ils ensuite survécu en tant que peuple indépendant, ou au contraire se sont-ils fondus dans la masse des nouveaux arrivants successifs ? Car la région a de tout temps été un couloir de passage. Je pense par exemple à l’armée du Carthaginois Hannibal, avec ses 70 000 fantassins, 8 000 cavaliers et 52 éléphants, qui empruntera en – 218 la Voie Héracléenne qui passait par Capestang, pour aller conquérir Rome !

En attendant l’arrivée des Romains, qui créeront en – 118 la colonie de Narbo Martius, capitale de la Province de Narbonnaise, et mettront ainsi fin à la « civilisation des oppida » … Mais ceci est une autre histoire. En attendant, les Élisyques auront été le premier peuple à avoir « administré » notre petite région, et dont l’Histoire aura retenu le souvenir.

 

Notes :

 (1)   Il y a 2000 ans, l’embouchure de l’Aude était encore un vaste delta, débouchant sur un golfe communiquant avec la mer. Ce sont les alluvions charriés par le fleuve, arrachés à la chaîne des Pyrénées, qui vont progressivement le remblayer, isolant les étangs comme celui de Capestang.

 (2)   Les termes « celte » et « gaulois » sont-ils équivalents ? Oui, mais dans des langues différentes. « Celte » est le terme indo-européen signifiant « colon », alors que « gaulois » vient de « galli » comme les nommeront les Romains, lui-même provenant du grec « galate », dont le sens est « les envahisseurs ». Comme quoi, suivant d’où l’on parle, on est l’autochtone ou bien l’envahisseur, c’est selon. Les Romains ne pouvaient pas les désigner autrement, ces Celtes de la tribu des Sénons alors installés dans le nord de l’Italie (= « Gaule cisalpine »), qui, sous la conduite de leur chef Brennos/Brennus, prirent et ravagèrent Rome en – 387 !

 

Sources :

 - « Les Élisyques et le 1er Âge du Fer en Languedoc », Thierry JANIN & allii, Rencontres archéologiques de la Narbonnaise, 2003,

 - « Montlaurès et son territoire à l'âge du Fer », collectif, 2000

 - « Narbonne avant Montlaurès ? Ou quand la Gaule déversait ses bronzes entre l'Aude et l'Hérault », Conférence de Jean GUILAINE, Rencontres Archéologiques de la Narbonnaise, 2017.

 - « Les Gaulois du Midi, de la fin de l’âge du Bronze à la conquête romaine », Michel PY, collection Les Hespérides, Errance, 2012

 

 

Sous les vignes, la nécropole de Recobre (Bronze final – premier âge du Fer)