par Christine Espallargas-Moretti
Remontons le temps jusqu’au XIVe siècle et laissons aller notre imagination...
Nous sommes sur le Camin Romieu, le chemin de Saint Jacques de Compostelle, en bordure de l’antique Via Domitia, en provenance de Béziers.
Au loin, on aperçoit Capestang, l’étang et ses salines. Mais aussi des tours et des remparts, le donjon d’un château et une grande église en construction
….
Bientôt, voici la porte Saint-Martin, l’une des principales portes de la ville. Un marché animé se tient à proximité. Des charrettes, des chevaliers, des paysans, des ecclésiastiques, des marchands, des pèlerins, femmes et enfants s’y croisent dans une belle effervescence ! Et tout proche, l’hôpital St-Jacques où des pèlerins se pressent pour recevoir asile et soins !
Bientôt, voici la porte Saint-Martin, l’une des principales portes de la ville. Un marché animé se tient à proximité. Des charrettes, des chevaliers, des paysans, des ecclésiastiques, des marchands, des pèlerins, femmes et enfants s’y croisent dans une belle effervescence ! Et tout proche, l’hôpital St-Jacques où des pèlerins se pressent pour recevoir asile et soins !
Capestang est une ville prospère de 4000 habitants, sous l’autorité de l’Archevêché de Narbonne, l’un des plus riches et des plus vastes de France. Les salines, la
pêche, l’agriculture, le pastoralisme, l’artisanat du textile en sont les principales ressources.
Bernard de Fargues, archevêque de Narbonne depuis 1311, y possède bâtiments, maisons, boutiques, terres et salines ainsi que le château et ses dépendances.
Sous sa prélature, le château du 12ème siècle a été restauré et embelli. La grande salle d’apparat est maintenant décorée de peintures murales aux armes
personnelles de l’archevêque, mêlées aux lys de France et à la croix de l’Église de Narbonne. C’est un « petit palais » et l’archevêque y accueille des hôtes et évènements prestigieux.
La vieille église romane Saint-Étienne, dont la reconstruction a été décidée à la fin du 13ème siècle est aussi en chantier. Ce doit être une magnifique et
majestueuse collégiale gothique, sur le modèle de la cathédrale de Narbonne. Des architectes de renom conduisent les travaux, et tailleurs de pierre, maîtres maçons, forgerons et charpentiers se
mêlent alors à la vie quotidienne des Capestanais.
Dans ce premier quart du siècle, Capestang est à son apogée, riche, vivante, peuplée et en expansion. Mais une rupture s’annonce …
En 1337 débute la guerre de Cent Ans, conflit dynastique et conflit de souveraineté entre Philippe VI, roi de France et Édouard III, duc d’Aquitaine et roi
d’Angleterre. Tous deux descendent de Saint-Louis, qui a régné en France au siècle précédent.
En 1348 la peste noire sévit, emportant des milliers de personnes dans le royaume. Des hivers rigoureux, des sécheresses et pluies diluviennes ont précédé
l’épidémie. Des famines surviennent.
Capestang n’est pas épargné.
Les échanges commerciaux s’amoindrissent.
Les difficultés économiques s’aggravent.
Les impôts augmentent.
Et la guerre de Cent Ans se poursuit et se cristallise dans le sud-ouest…
Regardez ce chevalier en armure noire, arborant sur ses armoiries rouges et bleues, les léopards d’or anglais et les lys français ! C’est Édouard de Woodstock, 25
ans. Prince de Galles, fils aîné du Roi d’Angleterre et héritier de la Couronne anglaise ! C’est un jeune homme autoritaire, belliqueux, impitoyable, formé dès l’enfance aux maniements des armes.
Fait chevalier à 16 ans par son père, il a déjà participé à de nombreuses batailles, dont celle de Crécy, en 1346 où plus de 1.500 chevaliers de la haute noblesse française ont perdu la vie
!
Sa hardiesse au combat et sa cruauté ont déjà forgé sa légende. Il sera plus tard surnommé le Prince Noir, sans que « nul ne sache vraiment si cela se référait à la
couleur de son armure ou à la noirceur de son âme ».
Débarqué dans son fief de Bordeaux en septembre 1355 et allié aux seigneurs gascons, le prince anglais lance sa chevauchée en Languedoc. A la tête d’une armée de
14.000 hommes, dont 3.000 archers, « brûler, piller, détruire » sont ses mots d’ordre. Sa mission est de "ruiner le pays et sa capacité à payer des impôts, ramasser tout le butin, prouver aux
populations locales que le roi de France est incapable de les protéger et qu’Édouard III ferait un meilleur roi de France".
Délaissant Toulouse, fortifiée et imprenable, il franchit la Garonne et l’Ariège, profitant de basses eaux, dues à la sécheresse. De nombreux bourgs, églises,
châteaux et fermes du Lauragais sont dévastés, la population rançonnée, les récoltes brûlées, hommes, femmes et enfants sont brutalisés ou tués. Fin octobre la forteresse de Carcassonne est
contournée et seule la ville basse est rasée. Suivent dans le pillage et la furie meurtrière Trèbes, Marseillette, Puichéric. Lézignan qui appartient à Yseult de Bretagne, amie du Prince, est
épargnée. A Narbonne, la ville basse est brûlée mais quelques Narbonnais parviennent à soustraire deux charrettes de vivres aux Anglais. En représailles, des otages seront exécutés devant Cuxac,
gros bourg fortifié qui cependant résiste !
Le 10 novembre, le Prince noir cantonne à Aubian, près de Montels, avant de livrer Ouveillan aux flammes le 11. Ses alliés gascons sont partis assiéger Capestang !
Quand il les rejoint, les Capestanais négocient âprement le rachat de la ville avec le commandant gascon Arnaud Amanieu d’Albret !
Pour 40 000 écus, la ville sera épargnée !
Une commission est promise au commandant gascon mais cinq jours de délai sont nécessaires pour réunir les fonds !
Des otages seront donnés en garantie !
Les Capestanais discutent, tergiversent, essaient de gagner du temps. Ils savent que depuis la sénéchaussée de Beaucaire, des troupes du roi de France avancent vers
Béziers pour en découdre avec les Anglo-gascons.
Finalement, les Capestanais rompent le marché. Les Anglais n’insistent pas et lèvent le camp ! Crainte de l’arrivée imminente des renforts ennemis, venant à la fois
de Toulouse et de Beaucaire …. ou bien las des palabres capestanaises, on ne sait pas vraiment !
Les voici repartis vers Homps, Cabezac, Laredorte, qu’ils pillent ! Dans le Minervois, l’eau manque, on donne du vin à boire aux chevaux. Azille, Pépieux, Siran et
de nombreux autres villages sont incendiés, puis Limoux le 15 novembre. La chevauchée repart vers Bordeaux en passant par le comté de Foix, où Gaston Phébus reçoit le prince en allié.
Fin novembre, le bilan est terrible : 500 villages détruits, des milliers de morts, et des contrées dévastées et économiquement anéanties. Edouard de Woodstock
rentre à Bordeaux avec 1000 charrettes de butin !
Moins d’un an plus tard, le 19 septembre 1356, le prince de Galles remportera la bataille de Poitiers, où Jean Le Bon, nouveau roi de France, sera fait prisonnier.
La Guerre de Cent Ans est alors et pour longtemps encore, un fléau pour le Royaume de France.
Capestang, qui a échappé au pillage et à la destruction, subit cependant les conséquences de la guerre, de l’épidémie de peste et des vicissitudes de la crise
économique qui s’ensuit.
Le déclin est engagé et la ville ne retrouvera jamais son faste. La population diminue.
L’étang, suite à une importante crue de l’Aude en 1343, est coupé de la mer et devient un marais continental. Peu à peu les salines disparaitront, privant la ville
de ressources importantes.
Les grands chantiers de prestige, celui de la collégiale gothique et l’embellissement du château, sont arrêtés. Ils ne reprendront que des décennies plus tard, au
milieu du 15ème siècle. C’est à Jean d’Harcourt, archevêque de 1436 à 1452, que nous devons le beau plafond peint du château. Mais faute de moyens, le projet original de la Collégiale ne sera
jamais achevé : seuls la nef gothique, le clocher et les deux portes du narthex seront ajoutés.
Sept cents ans plus tard, il nous reste à rêver aux remparts et tours de Capestang, au château du Moyen Age et à la Collégiale terminée….
Sources :
- Capestang, histoire et inventaire d’un village héraultais, Catherine Ferras & JM Sauget, 2011
- Le Prince Noir et sa légende, Antoine Lebègue, 2012
- La Guerre de Cent ans, Jean Favier, 1980
- L’expédition du Prince Noir en 1355 d’après le journal d’un de ses compagnons, L. Santi, 1904
- Nouvelles recherches sur l’itinéraire du Prince Noir à travers le pays de l’Aude, H. Mullot & J.Poux 1909
Merci à Monique Bourin-Derruau pour ses conseils précieux.
Illustration : Edouard de Woodstock, Prince de Galles, Prince d'Aquitaine, dit le "Prince Noir", 1330-1376 (décédé des suites d'une maladie intestinale, un an avant son père, Edouard de Woodstock n'a jamais régné en Angleterre)